Le chien de nuit by Roger Beteille

Le chien de nuit by Roger Beteille

Auteur:Roger Beteille
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions du Rouergue
Publié: 2016-08-14T16:00:00+00:00


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1 Marque de faucille très utilisée dans le Rouergue.

Chapitre 8

Dès qu’il apparut dans le plein cintre de clarté éclatante dessiné par le porche, Hermance reconnut l’arrivant. C’était un paysan modeste, habitant un hameau proche, assez effacé par nature, mais qui montrait du tempérament à certaines occasions, quand les choses lui tenaient soudain à cœur.

– Vous n’avez pas commencé à rentrer les gerbes de la moissonneuse, observa-t-il.

– Non. Il n’y a aucun risque de pluie et les grains gonflent doucement dans les épis, expliqua-t-elle avec sérieux comme si elle devait se justifier devant cet homme avec qui elle n’entretenait que des relations superficielles.

– Hermance, nous n’avons jamais eu aucun différent, reprit-il sur un ton chaleureux.

– Je ne me souviens pas de dispute entre nous, acquiesça-telle, prudente car elle n’ignorait aucun des détours de certains pour, à la fin, lancer une pique sévère ou accuser Caumet ou les domestiques d’arracher des bornes entre les champs ou de laisser vagabonder le troupeau de Roqueserre.

– Je voudrais dépiquer mon peu de blé à la machine.

Le regard était déterminé : celui de quelqu’un parlant à la suite d’une réflexion mûrie de clairvoyance. Le visiteur ne se cachait pas la faiblesse de sa récolte.

– Ce sera possible plus tard, peut-être. Mais, cet été, la batteuse ne se déplacera que pour nous et le Paradet.

– Hermance, je vous demande un service : permettez-moi de charger tout mon blé sur un char et de l’apporter ici. On le dépiquera après le vôtre. Accordez-moi cette faveur, insista-t-il.

– Tu tiens si fort à te situer du côté du progrès ? s’enquit-elle en souriant.

– Oui, la mécanique ouvrira des temps nouveaux, assura-t-il, confiant dans l’avenir.

– Dieu t’entende ! Je sais que je suis critiquée et qu’on aimerait bien qu’il arrive un malheur.

– Pendant des mois les gens se sont contentés de dégoiser des balivernes contre la batteuse. Maintenant, l’imaginer travaillant à Roqueserre dérange la tête des plus enflammés. Ils se battent quand le vin les chauffe !

– Amène ta charretée de blé dès que tu voudras.

– J’ai trois ou quatre amis qui aimeraient me suivre…

– Qu’ils viennent avec toi à sur notre sol1 ! accepta Hermance.

Elle feignit une grande tranquillité, mais elle découvrait que l’approche du moment où la batteuse vrombirait à Roqueserre la mettait à l’index. Les esprits les plus obtus s’excitaient sans avoir jamais vu fonctionner la machine qui écraserait les grains, telle une mâchoire monstrueuse de Léviathan ! Depuis quelques dimanches, des femmes de paysans bornés l’évitaient à la sortie de l’office ou détournaient le regard à l’épicerie.

Hermance ferait aligner les chars surchargés tout près de la meule des Nivoliès, de façon à ce que les serveurs de la batteuse puissent facilement précipiter le blé dans le ventre mécanique de celle-ci. Cette vision atténua son agacement et lui rendit moins amère la défiance des plus rétrogrades parmi ses voisins.

Elle se raidit contre les imbéciles de tout acabit : ceux qui commandaient à leurs rombières de l’ignorer en public, ceux qui lui opposaient une figure lisse, mais qui la traînaient plus bas que terre une minute plus tard.



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